Ma fuite en Angleterre

 

 

19 juin 1940, 5h00 du matin, aérodrome de Lessay (manche), la veille le Général De Gaulle invite tous les Français à le rejoindre à Londres, avant hier Pétain annonce que la France va se rendre face aux troupes allemandes. Je n’ai pas réussi à dormir de la nuit, ma décision est prise : je continue la lutte !

 

Je décide donc de voler un avion malgré mes 4 petites heures de vol sur le Morane Saulnier biplace MS 230 de l’aérodrome du club, j’arriverais bien à décoller et à voler, pour l’atterrissage, on improvisera !

 

Dans l'hangar, pas un seul avion, tous réquisitionnés, sauf une drôle de trapanelle au fond de l’hangar, plein de poussière et de toiles d’araignées. Je me rappelle que mon instructeur m’en avait parlé, c’est un Pou du Ciel anglais, son propriétaire était venu avec pour un meeting aérien. Malheureusement il l’avait prêté à un pilote du coin, et celui ci l’avait cassé en l’essayant. L’Anglais était reparti chez lui en bateau, il devait venir le rechercher, il n’est jamais revenu. Quelques membres de l’aéroclub l’avaient retapé mais personne n’avait osé le refaire voler, il paraîtrait que les Pou du Ciel étaient des avions dangereux !

 

Mais moi, en ce matin de juin 1940, je n'avais pas le choix, soit je tentais l’aventure avec lui, soit c’était l’occupation nazie.

 

Je lui fis un rapide brin de toilette et fis le plein du petit réservoir, sera-t-il suffisant pour rallier la Grande Bretagne ? Je le poussai hors de l’hangar. Une rapide inspection me montra qu’il avait l’air en état de voler. Je fis quelques tours à l’hélice, mis le contact, et en ayant bien pensé à mettre des cales, s’agirait pas de casser le bidule, je tentai de le démarrer. Quelques fumées mais rien de plus ! Faut dire que ça faisait un moment que le moteur n’avait pas tourné. Après quelques gouttes de transpiration, enfin le moteur se mit à vivre, quel joli bruit, un bruit de liberté.

 

Je le fis chauffer 5 minutes puis m’installai dans la carlingue, au ras du sol ! En instruments pas grand chose, mais ma plus grande surprise fut de constater qu’il n’y avait pas de palonnier !

Je remue alors le manche de gauche à droite et le gouvernail se mit à bouger, pas d’ailerons non plus ! Mais c’est quoi cet avion ? Et quand je tire le manche vers moi, c’est l’aile avant qui bouge, vraiment bizarre ! Franchement, je n’en mène pas large, mais bon, il paraîtrait que ça volait, il n’y a pas de raison. J’accélère un peu et vais m’aligner face à la piste en herbe, il est 5 h 15.

 

 

J’accélère progressivement le moteur jusqu’à 2300 tr/mn et ça y est ça roule, il prend vite de la vitesse, au bout de quelques mètres la queue se lève, je tire doucement sur le manche et ça y est je vole !

 

 

 

 

Allez maintenant cap au Nord direction l’Angleterre. Oui mais comment on prend un virage avec cet avion ? Pas 36 solutions s’offrent à moi ! Je penche peureusement le manche vers la droite, et là, le Pou se penche tout seul vers la droite comme si j’avais donné un coup d’ailerons et il vire doucement mais sûrement. J’essaie un virage à gauche, pareil ! S’en est même trop facile, pourquoi on s’embête encore avec des ailerons ? Je me demande même en quoi il est dangereux, au bout de 5 minutes de vol, j’ai l’impression de l’avoir piloté depuis toujours, déconcertant !

 

 

 

 

Allez, assez rêvassé, je prends mon cap plein Nord et vole près du sol pour avoir des repères, j’ai de la chance, la météo est bonne aujourd’hui, le ciel est vide.

 

Ce zinc est facile, mais qu’est ce que je me traîne avec ! Je vole à une vitesse de croisière de 54 miles per hour (mph), j’ai le temps d’admirer ce paysage que je ne pense pas revoir de sitôt.

 

Enfin au bout de 25 minutes de vol, j’aperçois la Manche, j’ai déjà parcouru pas mal de kilomètres, mais le plus dur reste à faire. Mon moteur tourne comme une horloge, je croise les doigts, pourvu que ça dure. Et il a intérêt à continuer à bien ronronner, je ne sais pas nager ! Dans ce calme matinal, j’en oublie presque que je pourrais faire des mauvaises rencontres, pourvu qu’un de ces terribles Messerschmitt Me 109 ne croise pas ma route, sinon je suis dans de mauvais draps !

 

 

 

 

Je stabilise le Pou à 10 pieds de l’eau et mon périple continue, l’eau défile sous ma carlingue doucement mais sûrement, un rapide coup d’œil à l’indicateur de vitesse m’indique un honorable 56 mph ! Mon dieu que le temps paraît long sur cette étendue d’eau ! Il me tarde de voir la côte anglaise, à ce moment là je pourrais souffler, je serais presque sauvé !

 

Mais ce petit avion avec ses commandes si simple me rassure, je me prendrais presque pour un pilote, voire un As !

Arrivé en Angleterre, je me promets deux choses : une de m’engager dans la Royal Air Force (RAF), et deux de retrouver le propriétaire de ce fabuleux piège.

 

 

(Admirez sous le pou son ombre sur l’eau, là je suis à 2 pieds d’altitude !)

 

 

Après 1heure 35 minutes de vol, la côte anglaise se présente à moi, je saute de joie dans mon petit cockpit, ce sacré piège m’a traîné jusqu’ici sans problème. Mais ma joie est vite rattrapée par mon appréhension de l’atterrissage ! Va falloir se poser sans casse. Je me présente au loin face à un grand champ qui me paraît idéal, je réduis légèrement les gaz, mon avion descend doucement. Pour l’instant ça ne se passe pas trop mal, mais je suis tendu. Je me retrouve à 3 mètres du sol, le seuil du champ à 10 mètres devant moi, je réduis encore et le laisse approcher doucement le sol, j’arrondis et coupe les gaz, et dans un choc les roues touchent le sol, enfin sauvé !

 

 

Le pou stoppe sa courte course, je coupe le contact et l’hélice s’immobilise. Au loin je vois accourir vers moi des fermiers. Je sors de mon compagnon et le remercie d’avoir tenu.

 

 

 

 

Dans un anglais approximatif, j’explique aux fermiers que je suis français. Une heure plus tard, la police locale vient me chercher pour m’emmener à la base militaire la plus proche. Mais avant j’ai fait mettre en lieu sûr mon compagnon d’évasion.

 

J’ai réussi à me faire engager comme pilote dans la RAF, j’ai suivi un entraînement de plus d’un an où j’ai retrouvé ce satané palonnier, mais il paraît qu’il n’y a pas de Pou du Ciel de combat ! Et depuis peu je suis parti au combat avec un De Havilland Mosquito IV, une sacrée machine ! Les Messerschmitt et autres Focke Wulf n’ont qu’à bien de tenir !

 

 

 

 

Mais avant j’ai retrouvé l’ancien propriétaire de mon pou à qui je l’ai restitué, il était heureux de retrouver son ancienne monture, tellement qu’il m’a invité à dîner avec lui et m’a raconté comment il a connu les Pou du Ciel, de son inventeur Henri Mignet rencontré lors d’un meeting en 1935 à Leicester, comment il l’a construit et le plaisir de ses vols.

 

Dès que cette fichue guerre fut terminée, je me lançai aussitôt dans la construction de mon Pou du Ciel à moi ! Il m’apporta beaucoup de bonheur, mais ça c’est une autre histoire que peut être je vous raconterai une autre fois.

 

Retour aux Pou du Ciel